Comment Travailler une Oeuvre

Article paru dans le « Bon tuyau », périodique de l’Aforgep (Association pour la Formation des Organistes des Eglises Protestantes).
Auteur : Jean-Marie CHARLES (directeur adjoint de l’Aforgep 2006-2008)

 

Nous sommes tous confrontés à cette question, dès le début de notre apprentissage, et tout au long de notre parcours de musicien Chacun semble avoir ses idées sur la chose, ses recettes personnelles… Toute technique évoluant, les méthodes de travail peuvent également varier au fil du temps.

Néanmoins, certains principes fondamentaux demeurent.

Sans pour autant vouloir imposer une « méthode », il nous semble utile de donner des « pistes », de développer des « approches » qui s’avèreront précieuses faces aux questions et difficultés récurrentes.

 

Travail en amont

Déchiffrer à l’instrument permet de « jauger » ou simplement obtenir un « avant-goût » du travail à venir.

C’est également en retrouvant le contexte historique de l’œuvre, en s’informant sur la vie du compositeur, son œuvre son style, que l’on devra débuter.

Le choix de l’édition permettra de revenir au plus près de la source.

 

Une lecture et analyse à la table

Grâce à la lecture rythmique et mélodique vous développerez votre écoute intérieure. Vous pouvez aussi pratiquer des exercices en poly-rythmie (md+mg, et pourquoi pas avec les pieds !).

Commencez par une analyse des « grandes lignes » pour ensuite entrer plus avant dans les détails : genre musical, structure de l’œuvre, recherche des thèmes et éléments, définition du plan tonal, recension des cadences, etc…

Dans une pièce à caractère contrapuntique, on isolera les différents éléments (sujet, réponse, contre-sujet, etc…) pour établir clairement la conduite des voix.

Cherchez les phrasés : pour cela, rien de mieux que de chanter les différents éléments (en indiquant les respirations).

L’objectif est de comprendre « comment cela est fait » et de se mettre à la place du compositeur. Il est bon de garder son sens critique…

 

A l’instrument

Commencez à « doigter » la pièce.

La recherche des doigtés pourrait à elle seule faire l’objet de très nombreux chapitres. Les doigtés sont le « miroir » d’une technique, fruit de l’expérience, révélateurs de « l’art et la manière » de jouer.

Quelques remarques d’ordre général :

  • Un bon doigté est au service du phrasé, de l’articulation choisie;
  • Recherchez l’économie de mouvement ; il est bon que cela « tombe sous les doigts »;
  • Gardez une « logique de doigtés » : aux mêmes tournures mélodiques, les mêmes doigtés (si possible);
  • Les doigtés vont devenir votre mémoire digitale, veillez à ne pas la surcharger !
  • Recherchez la symétrie entre les mains;
  • Pour la pédale, privilégiez les pointes et éviter si possible les croisements par derrière.

Doigter une œuvre, c’est déjà l’avoir analysée ; c’est une phase essentielle du travail et déterminante pour la suite des évènements. Il est donc important d’y consacrer le temps nécessaire.

Autant de bons doigtés vont faciliter l’apprentissage, l’exécution et de ce fait le « vécu » avec la pièce ; autant de mauvais doigtés pourront devenir de véritables « boulets » dont il sera bien difficile de se débarrasser.

 

Mains séparées et pédale seule

C’est indispensable pour une bonne coordination des mouvements et une réelle maîtrise technique.

Ce travail doit s’effectuer par phrase ou section de phrase, de manière à garder une logique musicale.

Pour des passages plus difficiles, travaillez la section (phrase, mesure, temps…) + une note.

L’enchaînement se fera ainsi plus facilement.

 

Bouclage

On peut gagner en efficacité s’il on travaille certains passages « en boucle ».

Celle-ci doit être de brève durée ; il est nécessaire de bien cibler la difficulté avant de constituer cette boucle.

Ce travail étant basé sur la répétition, deux pièges sont à éviter : la fatigue musculaire, le manque de concentration.

Changer de main ou alterner avec les pieds, est une bonne façon de ne pas accumuler la fatigue. ATTENTION, la douleur est un signal d’alarme qu’il faut respecter de manière absolue !

→ L’esprit s’évade rapidement si l’on en prend pas garde, et la répétition favorise cet état de fait. Pour y remédier, variez les tempi, déplacez les accents, variez les rythmes…

 

Main droite-pédale, main gauche-pédale

Etape indispensable dans la coordination des mouvements, mais aussi pour la solidité de la mémoire.

On appliquera les mêmes principes de travail que pour les « parties séparées ».

Pour les pièces fuguées, le travail « voix par voix » est très bénéfique.

Les voix passant d’une main à l’autre assez souvent, c’est le complément idéal au travail « mains séparées ».

« Penser musique » doit rester la règle, quoique l’on fasse !

 

La question du tempo

Au début de l’apprentissage, adoptez un tempo permettant de jouer en mesure les passages les plus difficiles : ce sera dans la plupart des cas, un tempo très modéré.

Il est primordial de garder « solidement » une même pulsation, quitte à jouer très lentement les passages plus faciles.

« Montez » ensuite progressivement le tempo ; le métronome est à ce stade un outil précieux.

La vitesse d’exécution d’une pièce n’a rien d’absolu, et l’on ne peut y répondre par une seule indication métronomique.

Elle va en fait dépendre de nombreux facteurs : le phrasé adopté, le type d’instrument joué, les dimensions de la pièce ou l’édifice, la réverbération, la distance entre l’instrument et l’auditeur…

C’est pour cela que l’on peut parler de « tempo de travail » et de « tempo d’exécution » (l’un étant au service de l’autre).

 
Le danger du tempo « excessif

On prend rapidement l’habitude de jouer trop vite (à force de répétitions), ce qui engendre une perte de maîtrise, de souplesse.

Revenez régulièrement à un tempo lent pour éviter cet écueil.

 

Jouer très lentement » : une technique qui a fait ses preuves

Lorsque l’on maîtrise un morceau, il est souvent facile de le jouer plus vite : le jeu est alors basé sur les réflexes.

Jouer très lentement s’avère souvent plus difficile car les réflexes ne jouent plus (ou beaucoup moins). Lorsque l’on combine cela à une exécution de mémoire, la tâche devient alors ardue : les repères disparaissent, la pulsation « très lente » est difficile à tenir ; on découvrirait presque une nouvelle pièce !

En fait, un travail très bénéfique est en train de commencer : la mémoire, la coordination, la concentration s’en trouvent considérablement renforcés.

Seul le « jeu très lent » permet d’apporter toute attention à chaque note et les réflexes sont alors travaillés d’une manière beaucoup plus profonde.

 

Faut-il mémoriser, faut-il jouer par cœur ?

Ce sont deux questions différentes, mais on les confond souvent.

→ Oui, il est bon de mémoriser la pièce que l’on travaille et d’une manière plus large, toute étape de son travail (parties séparées, md-pédale, mg-pédale…), c’est même une nécessité pour nous organistes qui sommes confrontés à une musique souvent très complexe.

Le « par cœur force à l’analyse », c’est d’ailleurs sur elle que nous devons fonder notre mémoire.

Mémoire visuelle, mémoire digitale ou musculaire, mémoire auditive, mémoire analytique… Chacun a ses préférences ; disons qu’il est bon de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et de ce fait, essayons de développer notre mémoire de manière variée !

Même si la mémoire musculaire est souvent la plus intuitive, elle n’est pas sans danger. Un toucher différent, une mécanique lourde, un ordre des claviers inhabituel ont vite fait de la perturber.

La mémoire analytique reste de loin la plus solide ; c’est elle qui doit être développée en priorité.

En mémorisant une pièce, on s’affranchit des notes pour se concentrer sur la musique.

« Pensez dix fois, jouez une fois » disait Franz Liszt…

 

Faut-il jouer par cœur ?

La question est différente car jouer par cœur c’est jouer sans recours à la partition.

Pour cela, il faut être sûr de sa mémoire et surtout ne pas décider au dernier moment de mettre la partition sur le pupitre de manière à se rassurer (« on ne sait jamais ») : c’est la meilleure façon de se tromper !

« Tout n’est qu’habitude ! », c’est aussi valable à l’orgue… Si l’on veut garder la partition alors que l’on joue d’habitude sans, il faut réapprendre avec elle, et savoir exactement à quel moment « on jette un coup d’œil sur les notes » et à quel moment on regarde ses doigts (par exemple).

 

Jouer et registrer

Chaque orgue étant différent, il faut souvent « tester » ses registrations :

  • Restez pratique ! Evitez de « mettre l’orgue à l’envers » pour aller chercher le sifflet au 4ième clavier (comme indiqué sur la partition) …
  • Quand cela est possible, registrez tout seul en jouant ; « on est jamais mieux servi que par soi-même ».

Enfin, on ne dira jamais assez combien il est bénéfique de s’enregistrer : pour la registration, les tempi, les phrasés, tout ce que l’on va « projeter » à distance, et que l’on ne perçoit que partiellement à la console.

Mais aussi pour la concentration, le trac : l’enregistrement impose une « mise en condition » à l’instar d’une exécution devant un public.

De plus, il nous permet d’apprécier « l’évolution » de notre jeu au fil du temps…

Nous n’avons pas la prétention d’avoir passé en revue l’ensemble des techniques de travail possibles, loin s’en faut. Ce sont encore une fois, des « pistes » à suivre, des idées à « explorer ». Chacun, par la suite, et selon ses aptitudes, sera à même de développer sa « technique », son« art (littéralement) dans la direction qu’il aura choisie. Enfin, ne confondons pas les moyens avec l’objectif ; toutes ces méthodes de travail, ces »recettes », restent au service de l’expression musicale, ne l’oublions pas.

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