L’Oeuvre d’Orgue de Buxtehude

Article paru dans le « Bon tuyau », périodique de l’Aforgep (Association pour la Formation des Organistes des Eglises Protestantes).
Auteur : Jean-Marie CHARLES (directeur adjoint 2006-2008)

 

A l’aube de la commémoration du tricentenaire de sa mort, Buxtehude apparaît plus que jamais comme l’archétype du Maître de l’orgue, penseur et virtuose, héritier de cet art d’Allemagne du Nord.
Pour autant, aucun document (qui nous soit parvenu) n’atteste ou n’évoque le talent dont il a du faire preuve à l’instrument, ce qui est assez surprenant quand on sait qu’il eut de nombreux élèves et admirateurs.
Mais il nous suffit d’évoquer sa rencontre avec JS BACH (qui resta près de quatre mois auprès de lui à cultiver son art) pour nous convaincre (s’il le fallait) de sa réputation de virtuose hors pair.
Plus que tout, c’est son œuvre pour orgue qui nous permet d’imaginer et d’entrevoir Buxtehude, l’organiste.

Sans pour autant établir le catalogue exhaustif de ses œuvres pour orgue, nous vous proposons ici d’en souligner les étapes majeures.

 

Les chorals

Pain quotidien des organistes comme celui des fidèles, le choral a toujours été un sujet de prédilection pour les maîtres d’Allemagne du Nord.
Buxtehude traitera ce genre de manière variée :

  • les préludes de choral (au nombre de 32) au contrepoint parfois très développé, sont chargés « d’ouvrir la bouche aux fidèles ». Le choral (le plus souvent présenté au soprano) fait l’objet de diminutions et mélismes tels qu’il est bien difficile parfois d’y retrouver la mélodie initiale (Herr Christ, der einig’ Gottes Sohn).
  • les variations sur choral : elles sont au nombre de 6. Le figuralisme y est toujours omniprésent, presque didactique (« Ach Gott und Herr »). On retrouve la volubilité et la poésie qui caractérisent toute son œuvre.
  • Les fantaisies de choral : 9 nous sont parvenues. C’était un genre très prisé par les maîtres d’Allemagne du nord (comme par les auditeurs). On les jouait pendant les offices mais aussi durant les concerts (« Abendmusiken »). Toujours ancrées à un cantus firmus, elles développent verve rhapsodique et expression agogique conférant à ces pages un caractère virtuose.

 

Praeludium et toccatas

 

De caractères divers, ces œuvres sont d’une grande liberté de style. La virtuosité y est toujours présente, au service des contrastes et de la liberté des formes.
Qu’ils soient diptyque (prélude suivi d’une fugue), triptyque (prélude, fugue et chaconne) ou plus développés encore (jusqu’à 5 sections comme dans le praeludia en mi m Buxt. WV 140) ils portent tous la marque du Stylus Fantasticus.
Mis à part certaines pièces de taille plus modeste, la plus grande partie requiert l’emploi du pédalier qui devient un acteur majeur du discours musical. Son développement virtuose est caractéristique de l’écriture des maîtres d’Allemagne du Nord et Dietrich Buxtehude n’échappe pas à la règle (toccata en fa buxt.wv156, praeludium en sol buxt.wv147, en ré Bux WV 140) .

 

Ces œuvres ont trouvé naissance dans des improvisations, sans aucun doute. On y retrouve éloquence et spontanéité mais aussi une science profonde du contrepoint.
(22 praeludium, 3 toccatas)

 

Canzones

Au nombre de 8, on peut légitimement penser qu’elles étaient aussi bien destinées au clavecin qu’à l’orgue. Même si elles restent de taille modeste, la qualité de leur facture est indéniable. Le contrepoint toujours varié donne beaucoup de fraîcheur à l’ensemble. Citons également les trois « fuga » qui comptent parmi les œuvres pour orgue et en particulier celle en ut majeur au sujet très développé.

 

Chaconnes et passacaille

Comme nous l’avons vu plus haut, le Stylus Fantasticus est omniprésent dans l’œuvre d’orgue de Buxtehude. Dans ses pièces « libres », il n’est pas rare de trouver un épisode en « basse obstinée »comme dans le praeludia en ut majeur (Bux WV137), en sol mineur (Bux WV148 et 149), et même dans le Te Deum (verset Pleni sunt coeli et terra) (Bux WV218).
Pourtant, seules trois pièces sont entièrement conçues selon ce procédé :

  • la chaconne en ut mineur
  • la chaconne en mi mineur
  • la passacaille en ré mineur

Toutes trois témoignent de l’art unique de la variation dont pouvait faire preuve Dietrich Buxtehude.
La passacaille en ré mineur restera comme le « chef-d’œuvre d’entre les chef-d’œuvres » du musicien (par sa poésie entre autres et la perfection de sa structure). On sait que le « cercle des Bach » en possédait plusieurs copies.

Au travers de son œuvre pour orgue nous apparaît un génie de l’instrument, ce qui, loin d’être réducteur, témoigne d’un art sans limite, d’une pensée libre et foisonnante au service d’une science musicale profonde.
Sa musique pour orgue, étonnamment moderne, possède une verve et un souffle qui nous laisse entrevoir l’improvisateur qu’il a pu être.
Quels ont été ses véritables maîtres, et comment lui-même enseignait-il l’instrument ? On aurait bien aimé le savoir …
Mais au-delà du mystère qui entoure l’homme, demeure cette énergie jubilatoire qui traverse toute son œuvre.

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