Dietrich Buxtehude: Chaconnes et Passacaille

Article paru dans le « Bon tuyau », périodique de l’Aforgep (Association pour la Formation des Organistes des Eglises Protestantes).
Auteur : Jean-Marie CHARLES (directeur adjoint 2006-2008).

 

Ecoutez la passacaille en ré mineur par Jean-Marie Charles à l’orgue Dott de l’abbatiale d’Ottmarsheim

 

Il existe de nombreux exemples de « formes obstinées » dans la musique de Buxtehude : concerts vocaux, musique de chambre, cycles de variation pour le clavecin… On en rencontre également « à l’intérieur » de pièces d’orgue (le praeludium en ut M Bux WV 137, en sol m Bux WV 148&149).

Pour autant, seules trois œuvres destinées à l’orgue sont exclusivement conçues selon ce procédé :

  • La Ciaconna en ut mineur BuxWV 159
  • La Ciaconna en mi mineur BuxWV 160
  • La Passaglia en ré mineur BuxWV 161

 

Ciaconna en ut mineur BuxWV 159

C’est la plus ancienne des trois.

Mesure à trois temps (3/4)
Ostinato de 4 mesures

34 variations :

Variations 7 mesures   9 mesures   18 mesures
Transitions   12 mesures   5 mesures  

Variations groupées par paires (le plus souvent).
Les groupes de variation sont chaque fois plus longs (mouvement d’amplification).
Absence de symétrie entre chacun (renforcement du sentiment « d’élan » selon Gilles Cantagrel)
Ostinato principalement à la basse et sujet à différentes transformations : harmonique et non mélodique(mes. 41), en diverses diminutions (mes.69, mes.90).

 

La Ciaconna en mi mineur BuxWV 160

Mesure à trois temps (3/4)
Ostinato : tétracorde descendant (4 mesures ½)

31 variations :

Groupe A Groupe B Groupe C
15 variations 8 variations 8 variations
Ostinato basse-ténor-basse
DVT complexité croissante
Ostinato : broderies
Chromatisme
Caractère rhapsodique
Dissolution du thème
Ostinato en valeurs pointées lors des 2 dernières variations.

 

La Passaglia en ré mineur BuxWV 161

Différente des autres pièces en ostinato par sa composition tardive et son opposition à toute référence au « stylus fantasticus », elle est considéré comme un chef-d’œuvre dès le vivant de Buxtehude. Spitta en donne une copie à Brahms émerveillé…

Source principale : copie prise par Johann Christoph Bach (Andreas-Bach-Buch)

Mesure à trois temps (3/2)
Ostinato : 4 mesures – 12 temps (4*3) – 7 notes (4+3) – entendu 28 fois (4+3)*4
28 variations : 4 sections de 7 variations (Ré m-Fa M-La m-Ré m). On parcourt ainsi l’accord parfait de ré mineur, bouclant le cycle en concluant sur ré mineur.

Symétrie de la structure :

  • 4 groupes de variations → 4 mesures de l’ostinato
  • 7 variations /groupe → 7 notes pour l’ostinato
  • 28 variations → 28 mesures par groupe
  • Groupe I (rém) : polyphonie à 4 voix
  • Groupe II : (fa M) animation rythmique (le plus souvent à 5 voix)
  • Groupe III : (la M) la diversification rythmique se poursuit
  • Groupe IV : (retour en ré m) variété maximale des figures mélodiques et rythmiques

Selon Gilles Cantagrel :

« Au début de l’œuvre, la mesure ternaire impose sa matrice temporelle sacrée : figure du Créateur à l’origine de toute chose et générateur de la vie, le 3 féconde le temps de l’œuvre comme Dieu crée le temps de l’univers. En balisant l’organisation spatiale, les quatre mesures de l’ostinato, on l’a vu avec les chaconnes, marquent les jours de la Création, le 4 étant la figure du créé. Allongé de quatre à sept mesures, la septième variation réunit le 4 et le 3, le créé et le créateur, la terre et le ciel, en ce moment où l’ostinato observe un repos de trois mesures, celui, donc, de Yahvé au septième jour : « Il bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu’il avait cessé en ce jour de produire tous les ouvrages qu’il avait créés. » (G. Cantagrel « Dietrich Buxtehude » éd. Fayard)

Passacaille et cycle lunaire

Cycle lunaire Passacaille en ré mineur
4 périodes de 7 jours 4 groupes de 7 variations
« Lune montante » Groupe I ré mineur
« Pleine lune » Groupe II fa majeur
« Lune descendante du 3ième quartier » Groupe III la mineur
Fin du cycle et nouvelle lune Groupe IV retour à ré mineur

L’église Ste Marie de Lübeck possédait une belle horloge astronomique ; Buxtehude ne devait certainement pas y être indifférent (on connaissait son intérêt pour l’astronomie).

« La passacaille en ré m est une méditation sur la création et le temps universel(cycle lunaire) » (G. Cantagrel « Dietrich Buxtehude » éd. Fayard)

 

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